De l’héritage d’une tradition picturale chinoise où un paysage idéalisé semble suspendu dans le temps (peinture de « montagne et d’eau ») aux accélérations de la modernité et leurs conséquences sur la nature et l’environnement, en passant par des récits visuels reprenant à leur compte sa puissance évocatrice, la rivière a constitué ces vingt dernières années un motif d’inspiration récurrent pour les photographes, Chinois ou venus photographier en Chine. L’exposition réuni le regard de 13 photographes sur ces paysages chinois : Edward Burtynsky, Chen Ronghui, Chen Qiulin, Michael Cherney, Jia Zhangke, Liu Ke, Luo Dan, Mu Ge, Sui Taca, Yang Yongliang, Zhang Kechun, Zhang Xiao, Zhuang Hui.
« Les flots écoulés ne reviennent pas à la source. Regards de photographes sur la rivière en Chine » est une exposition conçue par Victoria Jonathan avec la complicité de Bérénice Angremy pour l’Abbaye de Jumièges dans le cadre du festival Normandie Impressionniste 2020. Produit par l’agence Doors, le projet a été réalisé grâce au soutien du Département de la Seine-Maritime. Un catalogue (bilingue français-chinois) de l’exposition, réunissant reproductions des oeuvres exposées et entretiens exclusifs avec les artistes, a été publié par Bandini Books.
Vue de l’exposition «Les flots écoulés ne reviennent pas à la source. Regards de photographes sur la rivière en Chine" à l'Abbaye de Jumièges
Vue de l’exposition «Les flots écoulés ne reviennent pas à la source. Regards de photographes sur la rivière en Chine" à l'Abbaye de Jumièges
Vue de l’exposition «Les flots écoulés ne reviennent pas à la source. Regards de photographes sur la rivière en Chine" à l'Abbaye de Jumièges
Vue de l’exposition «Les flots écoulés ne reviennent pas à la source. Regards de photographes sur la rivière en Chine" à l'Abbaye de Jumièges
Le paysage et sa contemplation
Le mythique fleuve Yangtsé (Yangzi dans sa transcription modernisée, ou Long Fleuve) et le fleuve Jaune, les deux plus grands cours d’eau du pays, ont inspiré de nombreuses œuvres aux poètes, peintres et calligraphes chinois. Dans la tradition esthétique chinoise, le fleuve constitue un élément du shanshui (montagne-eau), un type de paysage naturel codifié en peinture et en littérature, célébrant l’harmonie entre l’homme et le monde.
Dans la lignée des peintres classiques et des débuts de la photographie chinoise, des artistes photographient la rivière en Chine aujourd’hui, en s’inspirant de préceptes et de textes traditionnels. En résultent des images empreintes de sérénité où les hommes semblent accompagner et contempler le mouvement d’une nature en constante mutation.
La rivière, témoin des accélérations de l’histoire
Fait majeur de la deuxième moitié du 20e siècle, l’industrialisation et l’urbanisation transforment le pays, et impriment durablement leur trace sur l’environnement et le climat. Les titanesques travaux du barrage des Trois Gorges, édifié entre 1994 et 2009 d’après une idée de Mao lancée dans les années 1950, pour endiguer les inondations et crues meurtrières du Yangzi, ont permis de créer la plus grande centrale hydro-électrique du monde. Près de 2 millions d’habitants sont déplacés, tandis que 1300 sites historiques et archéologiques, 15 villes et 116 villages sont engloutis.
Lacs asséchés, pollution, glissements de terrain… les conséquences environnementales sont nombreuses. Chongqing, municipalité de 32 millions d’habitants (dont 70 % de ruraux) qui couvre le site de la retenue, bénéficie des effets du barrage : c’est le plus grand centre industriel et commercial du sud-ouest. Arpentant les rivières du pays, tout le long de leur trajet ou sur quelques tronçons, de nombreux photographes documentent les effets de la modernisation sur le paysage, l’environnement et la société chinois.
Flots narratifs
Lieu mythologique, poétique, historique, la rivière inspire aux jeunes artistes contemporains des récits visuels nourris par sa puissance évocatrice. Du voyage initiatique déclenché par le roman à la mise en scène de soi, en passant par une nouvelle quête de sens et de beauté au milieu du chaos, la rivière est prétexte à des fictions, souvent autobiographiques, où la réalité nourrit un imaginaire travaillé par des interrogations sur l’identité, l’histoire et le paysage chinois.
Contours et couleurs nimbés d’un brouillard de pollution, apparitions inattendues dans des endroits abandonnés et fantomatiques, personnages en transit, confèrent à ces images une poésie presque surréaliste. L’impact de l’homme sur des paysages en pleine mutation cohabite étrangement avec l’image statique du fleuve.
Zhang Xiao, "They N°004" (2007), série "They [Ils]"(2006-2007). Avec l’autorisation de l’artiste.
Jia Zhangke, "Still Life", 2006 (film de 108 mn). Avec l’autorisation d’Ad Vitam.
Zhuang Hui, "Traces des trous creusés dans les Trois Gorges", série "Longitude 109°88’ E Latitude 31°09’ N" (1995). Avec l’autorisation de l’artiste.