DoorZine : Depuis les années 80, votre travail se concentre sur la nature telle qu’elle est transformée par l’industrie. Votre approche est globale : vous avez mené des projets en Amérique du Nord, en Inde, au Bangladesh, en Asie, en Australie, en Europe et en Russie. Dans le livre et dans le documentaire Manufactured Landscapes (2003 et 2006), vous vous intéressez aux effets de l’industrialisation sur l’environnement, et vous permettez au public de comprendre l’origine des biens de consommation qu’ils utilisent quotidiennement ainsi que l’échelle des transformations du paysage né de notre poursuite du progrès. Vous dites que votre projet est une manière de ≪ regarder le paysage industriel comme façon de définir qui nous sommes et notre relation à la planète. ≫
Quelle place tiennent vos séries réalisées en Chine, et plus particulièrement sur le site du barrage des Trois Gorges, dans le contexte plus large de votre travail ?
Edward Burtynsky : Mon travail en Chine a été réalisé à une période où la ≪ machine ≫ industrielle chinoise accélérait la cadence et fournissait des produits bon marché au monde entier. C’était pour moi un signe très clair de la façon dont le XXIe siècle commençait à se dérouler. Considérant la taille massive, en constante expansion, du marché global, je me suis intéressé à la Chine pour observer l’échelle gigantesque des systèmes industriels que le pays était en train de développer, avec un intérêt particulier pour l’extraction de ressources, la fabrication et le transport d’importantes quantités de produits, et le recyclage des déchets du monde entier – tout cela avec une ampleur inouïe.
DoorZine : Dans cette série, vos images montrent la destruction, la construction, la transformation du paysage, davantage que la destinée des hommes dont la vie a été affectée par le barrage. Les hommes sont presque absents de vos images. Pourquoi ?
Ce n’est pas tout à fait exact. Il y a beaucoup d’images dans ma série sur les Trois Gorges qui incluent des hommes. Mais pour ce qui concerne les images dont les hommes ne sont pas le point central, j’étais davantage concentré sur la manifestation du passage de l’homme et la transformation par sa main du paysage de façon colossale – une extension conceptuelle du projet de ma vie, qui anime toute mon œuvre photographique. Je m’intéresse surtout à l’humanité à travers l’expression de ≪ systèmes ≫ industriels à grande échelle – les atteintes à la planète par l’homme dans le but de réaliser la croissance et le progrès par tous les moyens.
DoorZine : Vous insistez sur le fait que votre travail n’est ni une glorification ni une critique de l’industrie. En créant des images belles et saisissantes, vous souhaitez rendre le public témoin de l’impact de son mode de vie sur l’environnement, et sensibiliser l’opinion sur les conséquences de l’action humaine sur le paysage. Quelle est pour vous la fonction de l’art et de la photographie ?
Pour moi, la fonction de l’art est d’éveiller les consciences… fournir de nouvelles informations, aider les gens à réfléchir à ce qu’ils voient, d’un point de vue à la fois pratique, spirituel et esthétique. Dans mon cas, les potentielles conséquences de nos actions avides sur la planète. Il est très important pour moi que mon travail engage un dialogue profond avec le public, d’abord visuellement, puis à partir de là, leur montrer quelque chose qu’ils n’ont jamais vu, au service d’une meilleure compréhension et j’espère d’une meilleure participation à la conversation que nous devons avoir sur l’état de l’écologie mondiale.