DoorZine : Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours ? Quand et pourquoi avez-vous commencé à vous intéresser à Picasso ?
J’ai étudié l’histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, avec une spécialité en arts du 19ème puis du 20ème siècle, où j’ai suivi un cycle de trois ans sur la représentation du cirque dans l’œuvre de Picasso. Avant même de passer le concours de conservateur, j’étais donc très familière de cet artiste dont j’avais pu voir, plus jeune, de nombreuses œuvres par le biais de reproductions, livres ou cartes postales. Je me souviens notamment d’une carte postale du portrait de Jacqueline, connue aussi sous le nom de Madame Z, dont le profil presque sculpté par un ensemble de facettes colorées, dégageait une impressionnante monumentalité, et qui, dans le même temps, par certains détails soignés comme les yeux, était d’une grande élégance qui force le respect : elle avait la solidité et la permanence de l’antique, tout en étant éminemment moderne et séduisante.
Lorsque je travaillais sur la période rose des saltimbanques, j’ai été touchée, comme beaucoup je crois, par la profonde empathie de Picasso pour les gens du cirque, mais aussi plus largement pour les marginaux, les errants, les artistes qui vivent à côté de la société. J’ai été également saisie par le mélange de grâce et de tristesse qui caractérisaient ses compositions. Et lorsque j’ai réalisé que l’ensemble de ces œuvres avaient été faites par le même artiste, j’ai été saisie d’une sorte de vertige.
Ce qui me fascine chez Picasso, c’est évidemment son talent, et la profonde remise en question de l’art de représentation qu’il a initiée avec le cubisme, mais c’est surtout, je crois, son incroyable force de renouvellement, sa capacité à être entièrement contemporain de son monde, à le comprendre et à en rendre compte d’un point de vue plastique mais aussi humain : de la Barcelone de 1900 à la Croisette du festival de Cannes dans les années 1950, du Paris des années folles à la libération sexuelle de la fin des années 1960 en passant par la sombre période des années 1930, Picasso n’en finit pas de réinventer son langage en réaction à son environnement qu’il soit intime, historique, social, culturel… A travers son œuvre, on peut tout à la fois suivre la trajectoire d’un homme dans son siècle, et la naissance de l’art moderne.