DoorZine : La série est très poétique et dégage une certaine mélancolie, on ressent la fragilité et la souffrance que peuvent engendrer ces situations. Que pensez-vous de ce phénomène des mariages arrangés et de leurs conséquences en Chine ?
Je pensais que les mariages arrangés appartenaient au passé, mais en travaillant sur ce projet j’ai réalisé à quel point ce phénomène était à nouveau devenu populaire, un peu comme une vogue rétro. J’ai été choquée de constater que, en dépit du développement de la société chinoise, il existait encore des lieux où s’orchestrent des mariages arrangés. Un immense fossé culturel s’était ouvert devant moi.
J’ai d’abord pensé que c’était une différence de générations ; nos valeurs sont fondamentalement différentes de celles de la génération de nos parents. Mais quand mon travail a été diffusé, j’ai lu les réactions des internautes à mon projet, et je me suis rendu compte que beaucoup de jeunes gens d’aujourd’hui partagent ces idées. J’en suis arrivée à la conclusion que, d’une manière ou d’une autre, les mariages arrangés sont là pour rester. Récemment, j’ai appris l’existence d’Ayawawa, une « experte émotionnelle des deux sexes » qui défend l’idée que les femmes devraient utiliser les « avantages » de leur genre pour leur propre bénéfice. Parfois, ce ne sont pas seulement ses théories qui font que les gens se sentent impuissants, mais aussi les « cas » qu’elle met en avant. Plusieurs jeunes femmes ont mis en pratique ses idées et sont aujourd’hui dans des mariages soi-disant heureux, et ça, ça me rend triste et impuissante. Je crois profondément que c’est un pas en arrière.
DoorZine : Dans votre travail, vous utilisez d’autres formes de pratiques artistiques comme la vidéo et l’installation, pourquoi avez-vous utilisé ces autres moyens d’expression artistique en complément de vos photographies ?
Dans La joie de la conformité, j’ai voulu montrer ce qui se passe dans ces parcs, et que les gens comprennent les questions soulevées par ce projet, mes idées et mes sentiments.
Le reportage documentaire, la vidéo et le livre : au final, ce sont des matériaux pour servir un sujet. J’ai ajouté une valeur à ces matériaux en expérimentant et en mélangeant les techniques, en utilisant la photographie pour révéler quelque chose des relations humaines à l’œuvre dans ces parcs. Pas seulement ce que vous voyez, mais aussi ce qui se produit entre les gens, au temps présent.
En réalité, j’ai commencé avec les annonces sur papier, mais ma recherche était en partie basée sur ma propre expérience du phénomène de « femmes laissées pour compte ». C’est ce qui m’a poussée à m’intéresser aux mariages arrangés et aux parcs où les parents essaient de marier leurs enfants. J’ai ensuite développé une analyse de la « pseudo intimité » entre les deux parties prenantes d’un mariage arrangé. En travaillant là-dessus, de nouvelles idées ont émergé. Je trouvais que le phénomène des « femmes laissées pour compte » n’était pas clairement représenté. On voyait les parents, mais les enfants étaient également présents, sur des bouts de papier. Personne ne pensait au ressenti de ces « enfants sur le papier ». Donc je me suis moi-même transformée en « papier » et j’ai matérialisé cette expérience en rédigeant ma propre petite annonce. Je n’étais pas sûre que l’âge était absolument déterminant à ce moment-là, donc j’ai voulu essayer de mettre une annonce sans préciser mon âge. Ce que j’ai réalisé à travers cette expérience, c’est que l’âge est la première considération de tous ces parents. Les réactions des gens (que l’on voit dans la vidéo) étaient très crues. Même si certains faisaient de leur mieux pour le cacher, on le voyait dans leurs yeux. Certaines personnes sont même venues me voir au parc pour louer mon « courage ».