« A nous la mode ! » – Portfolio de l’exposition commenté par les artistes

Liu Shuwei, série “Friendship and the Pink Triangle” (publiée dans Vogue Italia)

Quand les photographes regardent les nouveaux stylistes d’aujourd’hui, c’est un monde un peu fou qui se met en place. Comme si la créativité des uns nourrissait l’inspiration des autres. La mode des jeunes créateurs, inventive et audacieuse, devient prétexte à l’imagination de photographes qui sont en quête de sujets autour desquels ils explorent leurs émotions, obsessions et désirs.

Les photographes sélectionnés par Doors pour l’exposition « A nous la mode ! », dans le cadre de la première édition des Rencontres franco-chinoises de la mode, sont jeunes. Lin Zhipeng est né en 1979, Paul Rousteau et Liu Shuwei en 1985, Louise Desnos, la benjamine, est de 1991. 

Ils ont la particularité de développer en parallèle un travail dans la mode et dans l’art, puisant dans l’un et l’autre de ces centres d’intérêt une inspiration singulière, qui court d’un sujet à l’autre. Libérés de tout complexe, renversant les situations et les genres, travaillant leurs photos comme le peintre sa palette de couleurs, talentueux et créatifs, ils saisissent avec personnalité les silhouettes dessinées par d’autres, de la même façon qu’ils utilisent, parfois, les codes de la mode pour construire leur univers personnel. 

Nous leur avons demandé à chacun de choisir et commenter trois de leurs images en lien avec la mode.

Exposition “A nous la mode !” – Photographies de Louise Desnos, Lin Zhipeng, Liu Shuwei et Paul Rousteau (Commissariat : Doors) 

Louise Desnos

Louise Desnos affirme déjà une forte personnalité dans son œuvre de photographe et de vidéaste, qu’elle développe depuis à peine cinq ans. La reconnaissance de son travail personnel se fait en 2016 au festival international de la mode et de la photographie à Hyères-Villa Noailles – plateforme incontournable de la mode et de l’art en Europe – où le public découvre sa série Acedia, inspirée par l’aptitude que nous avons tous à paresser. L’année suivante, elle vient à la photographie de mode en shootant les jeunes designers sélectionnés au festival de Hyères. Sa pratique entretient un rapport paradoxal avec le hasard quotidien, qu’elle capte ou qu’elle provoque.

Elle insiste sur les détails – sacs de plastique émergeant d’un paysage un peu trash ou franges sophistiquées d’un pantalon de créateur ; sur les surfaces – grains de peau ou terres calcaires des rochers sur lesquels rampent ses modèles – et sur les abîmes – tuyauterie d’éviers comme plis de vêtements soyeux. Ses photographies sont des histoires singulières, et, finalement, des prétextes à la recherche infinie de signes. Louise Desnos a notamment photographié les modèles des créateurs Marine Serre, Octo-Arcane, Mariana Ladreyt, Hyunwoo.

http://unlouison.tumblr.com 

Instagram de Louise Desnos

Louise Desnos, de la série From Acedia, 2017.

Louise Desnos, « From Acedia », 2017.

« Cette image est issue d’une série personnelle qui s’appelle « From Acedia ». C’est la suite d’une série qui s’appelait « Acedia ». J’y abordais le sujet de la paresse dans une perspective assez large, autant comme motif que comme posture. L’acédie, c’est le côté un peu mélancolique de la paresse. La série s’est transformée en « From Acedia », parce que j’y ai vu un moyen de trouver de la liberté, parce que la paresse est un moment d’introspection où on pense et où on révèle des choses. En ce qui me concerne, c’est la posture dans laquelle j’aime bien errer, en dehors de travaux rémunérateurs, pour produire des images.

Ici, par exemple, c’est une photo tout simplement volée. On pourrait croire que c’est une mise en scène, mais c’est juste trouvé tel quel. Ce qui m’attirait était purement formel. C’était une femme chez le coiffeur ,… j’étais de l’autre côté de la vitrine dans la rue. J’ai simplement trouvé cette forme très intéressante, qui me faisait penser à une pieuvre, donc j’ai fait cette image. »

Louise Desnos, série pour la Villa Noailles, 2017.

Louise Desnos, série pour la Villa Noailles, 2017.

“Cette photo appartient à la série que j’ai faite pour la Villa Noailles en 2017, pour le 32e Festival International de Mode et de Photographie à Hyères. J’avais une commande qui était de photographier une tenue pour chacun des dix créateurs de mode sélectionnés dans le cadre du festival. Ici, c’est une tenue de la marque Marine Serre. Photographier cette série était un exercice très intéressant, car il fallait entrer dans l’univers de chaque designer avec une seule tenue au lieu d’une collection entière, et travailler avec dix identités complètement différentes tout en produisant une série cohérente dans son ensemble. »

Louise Desnos, Série pour Octo Arcane, 2017.

Louise Desnos, Série pour Octo Arcane, 2017.

« Mon expérience en mode avec la Villa Noailles m’a beaucoup plu. J’ai trouvé que la mode était finalement un univers assez libre pour faire des images en commande. J’aime la photographie quand c’est de la poésie, et avec la mode on peut vraiment créer des univers avec les designers, avec leur propre univers. On peut composer des images. On est moins tributaires du client que dans d’autres types de commandes qui laissent moins de liberté. 

Ici, j’ai travaillé pour un ami designer, qui s’appelle Octo Arcane. Il était aux Arts Décos en même temps que moi, et c’était sa collection de fin d’études. C’était agréable de travailler avec lui parce qu’il y avait un vrai lien de confiance. Au début, nous avions prévu des choses très différentes, mais finalement il m’a fait entièrement confiance et laissé beaucoup de liberté. … La commande était de photographier sept silhouettes dont deux duos. J’ai travaillé sa collection en photo en faisant interagir notamment les duos qu’il avait créés en tenues. »

Lin Zhipeng

Lin Zhipeng, que l’on connaît aussi sous le numéro 223 (d’après le nom du policier joué par Takeshi Kaneshiro dans le film culte de Wong Kar-wai, Chungking Express), était destiné à faire de la finance avant de trouver sa voie et de devenir photographe en 2004. Il travaille en parallèle pour la mode et la publicité, et officie comme rédacteur de magazine de mode pendant 7 ans. Lin Zhipeng photographie ses séries personnelles de la même façon qu’il shoote pour une marque : ses modèles semblent choisis dans le cercle restreint de ses amis, dans des décors qui pourraient être ceux de chambres d’adolescents dont il révèle l’univers désordonné et ludique.

Les situations parfois loufoques dans lesquelles il place ses personnages (nourriture qui tombe ou dégouline de corps enchevêtrés) sont inspirées mais aussi contrebalancées par une esthétique maîtrisée des couleurs et des formes. Au final, un travail à la fois poétique et provocateur qui révèle à la manière d’un journal intime une certaine jeunesse chinoise, sans complexe par rapport aux questions de sexe et de plaisir, hors des sentiers battus. Lin Zhipeng a notamment travaillé pour les marques Suen, Chictopia, United Nude, Glaceau Vitamin Water, Bacardi, Stuart Weitzman.

www.linzhipeng223.com

Instagram de Lin Zhipeng

Lin Zhipeng pour United Nude

Lin Zhipeng pour United Nude

« Même si cette photo est une photo de mode, ce n’est pas un travail commercial : le créateur de la marque de chaussures United Nude est un bon ami à moi. Je fais des photos pour sa marque en échange de quelques paires de chaussures ! Cette collaboration a été très heureuse car j’ai eu beaucoup de liberté, comme dans mon travail artistique. En fait j’étais chez moi avec des copains, on rigolait, et de façon totalement improvisée je me suis mis à mitrailler. J’ai pris cette photo à ce moment-là, et elle s’est finalement retrouvée en couverture de la publication photo Hidden Track éditée en France en 2016. »

Lin Zhipeng pour Vogue Me

Lin Zhipeng pour Vogue Me

« Là, c’est une série mode que j’ai shootée pour la version chinoise du magazine Vogue Me. C’est une série mode mais j’y ai glissé quelques éléments amusants, comme le poisson rouge. Ça crée un décalage très coloré. J’adore mettre en scène des objets du quotidien et de la nourriture, surtout de la cuisine de fast-food, comme des frites, du ketchup, des spaghettis… Parce que pour moi, la fast-food est le symbole de la culture d’aujourd’hui. En plus, ça donne quelque chose d’intéressant visuellement, un mélange et un choc des couleurs. En Chine, on dit que « l’appétit et le désir sont notre nature ». Il existe des relations invisibles entre la nourriture et le sexe. Mon style photographique est très cru, mais le public peut aussi y voir de la couleur. »

Lin Zhipeng pour Atelier Rouge Pékin

Lin Zhipeng pour Atelier Rouge Pékin

« Cette photo appartient à la série I Love We, que j’ai réalisée pour la marque Atelier Rouge Pékin. Il n’y a rien de très compliqué non plus dans cette série, pas de concept sophistiqué… J’ai réuni quelques amis, et j’ai commencé spontanément à prendre des photos dont je pensais qu’elles seraient intéressantes… C’est vraiment mon style personnel. Sur cette photo, il y a plusieurs filles qui font comme un fond, on ne voit que leurs bustes. Beaucoup de mes photos se concentrent sur le haut des corps des modèles, leurs mains, leurs épaules, leurs dos… Je pense que l’on n’a pas forcément besoin de voir le visage d’une personne pour montrer ses sentiments, les doigts et les cheveux ont aussi une force d’expression. Par exemple, quand on est nerveux, on se tend, et les bras vont exprimer une tension que l’on essaie de cacher… c’est pour ça que j’aime beaucoup photographier les bustes.

Liu Shuwei

Etabli à Shanghai, Liu Shuwei, ingénieur de formation, a heureusement tranché pour être photographe et vidéaste. A son actif aujourd’hui, un corpus de photographies qui révèle une personnalité sensible et romantique comme un artiste, mais aussi structurée et attentive aux détails comme un architecte (ou un ingénieur…). Le médium de la photographie, que ce soit pour des projets personnels (Friendship and the Pink Triangle) ou de commande, lui permet d’évoquer les sujets qui lui tiennent à cœur, notamment l’expérience partagée entre les individus. Il est fortement inspiré par la littérature et le cinéma (notamment Jean Genet et Derek Jarman). 

Ses personnages, quand il y en a, sont énigmatiques, amis ou solitaires, et traversent des paysages lunaires, ou des intérieurs de maisons qui semblent hantées de bons esprits, qui ne sont pas sans rappeler les images de Wim Wenders. Comme le cinéaste allemand qu’il admire, Liu Shuwei travaille ses compositions à partir de couleurs lumineuses, qu’il anime d’une poésie qui est la sienne, proche des gens qu’il semble aimer profondément. Le travail de Liu Shuwei est régulièrement publié dans des magazines de mode (Vogue Italia, Elsewhere…) et il a entre autres collaboré avec les créateurs Momo Wang, Chaotique, Pure Idealism.

http://liushuwei.com

Instagram de Liu Shuwei

Liu Shuwei, série Friendship and the Pink Triangle

Liu Shuwei, série “Friendship and the Pink Triangle” (publiée dans Vogue Italia)

« Cette photo est issue de la série « Friendship and the Pink Triangle ». Le Pink Triangle, tout le monde sait de quoi il s’agit : le triangle rose était dans l’univers concentrationnaire nazi le symbole utilisé pour marquer les homosexuels. Quant au mot Friendship, il fait référence à un entretien de Foucault, « De l’amitié comme mode de vie« . Foucault y dit que l’amitié doit être reinventée. J’utilise aussi ce mot dans le titre pour exprimer mon inquiétude face à l’état du monde actuel. Ces dernières années, le monde a connu de fortes perturbations qui donnent l’impression que l’on va revivre le 20ème siècle, et que peut-être le sens du mot « amitié » va en être bouleversé.

La photo elle-même est inspirée d’un roman de Jean Genet. Ce roman met en scène des soldats dans la rue, qui sont en train de fêter le mariage de deux d’entre eux. Il s’agit d’un acte individuel au sein d’une communauté.

Il ne s’agit pas d’une commande mode. J’ai imaginé les costumes comme on construit un vestiaire pour un personnage de film. La plupart des vêtements que portent les modèles sont à moi, il y aussi quelques tenues vintage et des habits prêtés par une amie créatrice, Dre Romero. Nous avons travaillé le stylisme ensemble, comme une réinterprétation du vestiaire lié au genre. « 

Liu Shuwei, série The Garden (cover story du magazine Elsewhere).

Liu Shuwei, série “The Garden (cover story du magazine Elsewhere)”.

« La série « The Garden » a été montrée en couverture du magazine indépedant Elsewhere. J’ai travaillé avec la même styliste que pour la série Friendship and Pink Triangle : Dre Romero. Je me suis inspiré du classique chinois Le Rêve dans le Pavillon Rouge et du roman de Jean Genet Miracle de la Rose. Je trouve qu’il y a de nombreux points communs entre ces deux romans. Pour moi, c’est cela le vrai style. »

Liu Shuwei, série Childhood Revisited.

Liu Shuwei, série « Childhood Revisited ».

« J’ai réalisé cette série il y a quelques années en collaboration avec le créateur Wang Tianmo (Momo Wang). Le shooting a eu lieu dans un village du nord de la Chine. J’ai grandi à la campagne, et à travers ces photos, j’ai pu exprimer mon expérience et mes rêves d’enfance. Dans mon travail, cette série apparaît donc comme une base, liée à mes racines. »

Paul Rousteau

Paul Rousteau aime la couleur, infiniment et presque voluptueusement. Ce goût s’est peut-être développé au cours de son enfance, lui qui a été élevé en Auvergne – une région du centre de la France caractérisée par de grands paysages un peu sauvages – dans une famille un peu hippie qui lui fait prendre conscience de la qualité d’une vie simple et proche de la nature. Son style reconnaissable entre tous s’exprime dans tous ses projets, qu’ils soient de commande ou personnels : silhouettes déformées, effets embués, légèreté planante et

diffuse, et surtout couleurs fraîches et saisissantes, qui construisent littéralement la photographie, comme dans un tableau de Monet ou de Matisse.

Pour obtenir ce rendu, aucun effet de post-production type Photoshop : Paul Rousteau utilise les procédés du photographe traditionnel. La prise de vue se fait à travers des lentilles, du verre, ou l’impression se fait sur des papiers spéciaux qui font un peu baver les couleurs. Paul Rousteau a notamment travaillé pour Agnès B, Pigalle Paris, Claudie Pierlot, Eddy Anemian, Asos.

www.paulrousteau.com

Instagram de Paul Rousteau

Paul Rousteau, série pour A Part.

Paul Rousteau, série pour A Part.

« C’est une Madone. J’ai essayé de refaire une Vierge. Pour ce shooting pour A Part, un magazine indépendant français, je me suis inspiré de Botticelli et d’Eve. J’aime beaucoup les icônes. Ce n’est pas forcément Eve. C’est plus Marie. Mais c’est un peu cette image de la première femme, qui en peinture est souvent représentée aussi par Marie. Toute l’histoire de la peinture m’intéresse, et j’avais envie d’essayer de la revisiter en recréant une vision de la Vierge. Le bleu roi derrière, c’est la couleur de la Vierge, le rouge aussi est souvent utilisé pour la représenter. »

Paul Rousteau, série pour Paris sur Mode.

Paul Rousteau pour Paris sur Mode.

« Cette image a été produite dans le cadre d’une commande pour le festival Paris sur Mode, j’avais carte blanche pour faire un shooting dans le jardin des Tuileries. C’est l’histoire de cette danseuse avec la nature, les statues, et cet oiseau. Cette image, je l’aime beaucoup, parce qu’on sent qu’il y a une douceur et une connexion entre les deux êtres. J’aime bien la façon dont elle est découpée. On dirait une affiche d’illustration. J’aime bien cette complexité d’image entre la peinture et la photographie. D’ailleurs, ça me fait penser… ça pourrait être un motif un peu asiatique avec cette chemise aux couleurs fraîches et joyeuses. »

Paul Rousteau, série pour Another Man x Pigalle Paris.

Paul Rousteau, Another Man x Pigalle Paris.

« Là, c’était une commande pour la marque française Pigalle. Le nom de la collection de Stéphane Ashpool était « L’Atelier ». J’ai pris ce thème-là comme prétexte pour jouer avec les tissus. Là encore, il y a une référence à l’iconographie religieuse. Ce modèle au milieu, il me faisait beaucoup penser au Christ. J’ai ces références religieuses parce que c’est toute l’iconographie que j’avais quand j’étais enfant. Je n’avais pas la télé quand j’étais petit, mais mes parents avaient des livres sur la table, un lieu spécial pour la prière. Un autel, où l’on mettait les choses un peu sacrées. Il y avait là les livres du peintre italien Giotto ou les gravures de Gustave Doré pour illustrer la Bible. Moi, je regardais beaucoup ces livres. Et maintenant, toute mon iconographie est inspirée par ces références-là.

Je les aime encore d’ailleurs, ces artistes qui ont interprété la Bible et le sacré, parce que c’est quand même dix siècles d’histoire visuelle ! C’est une partie importante de notre héritage culturel. Quand on visite une église, il y a toujours des chemins de croix, une iconographie récurrente.… C’est tout le temps la même scène, mais vue par différents artistes. Ça me plait de réinterpréter cette culture. Et là, ce n’est une scène spéciale, mais j’ai l’impression qu’il se passe quelque chose d’un peu sacré. Dans le fond, j’ai ramené les tissus de la collection. J’ai pris le thème de l’atelier, l’atelier où on confectionne les vêtements, au premier degré. »

L’exposition À nous la mode ! faisait partie de la première édition des Rencontres franco-chinoises de la mode

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Chorégraphes, réalisateurs et directeurs artistiques, le duo I COULD NEVER BE A DANCER collabore avec des marques de mode, des institutions culturelles, et des artistes pour qui ils créent des vidéos et chorégraphies pop et ludiques.
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