Bao Yifeng : « Le marché de l’art est un reflet de l’économie chinoise »
En 2018, une nouvelle foire d’art a vu le jour à Pékin : JingArt, dont la première édition a eu lieu du 17 au 20 mai 2018 à Quanyechang, dans le quartier historique de Qianmen. Aux manettes, l’équipe qui a créé la foire Art021 Shanghai Contemporary Art Fair en 2013 : Bao Yifeng, Ying Qinglan et Zhou Dawei.
Doors a rencontré Bao Yifeng au lendemain de la première édition de JingArt. Le « gourou de la communication mode en Chine » (avec sa société Activation Liquid), très actif dans le monde de l’art ces dernières années en tant que collectionneur et organisateur de foire, partage ici sa vision de l’évolution du marché de l’art en Chine.
DoorZine : Pourquoi avoir créé une nouvelle foire à Pékin après votre foire Art021 à Shanghai ?
Bao Yifeng: Cinq ans après avoir créé la foire Art021 à Shanghai, nous sommes arrivés à un carrefour : il nous fallait devenir plus gros ou créer quelque chose d’autre. Nous avons célébré notre cinquième anniversaire l’an dernier, et la plupart des espaces du Shanghai Exhibition Center, où a lieu la foire chaque année, était occupés. Nos recettes étaient pourtant sensiblement les mêmes. Une option pour nous était d’obtenir le soutien d’un gros sponsor – ce qui nous a semblé envisageable mais trop précaire. Cette réflexion nous a mené à envisager d’exporter Art021 dans une autre ville, ou de créer quelque chose d’entièrement nouveau. Après avoir considéré plusieurs villes de deuxième rang, comme Shenzhen, Chengdu ou Hangzhou, nous avons finalement arrêté notre choix sur Pékin. Non seulement c’est à Pékin que vit la plus active communauté de collectionneurs et de galeries, mais la ville a également toutes les infrastructures nécessaires à la tenue d’une foire comme la nôtre. Pour nous, en tant que foire, les galeries et les collectionneurs sont les éléments essentiels, mais le lieu d’exposition est également très important. Nous avons longuement débattu avec les deux autres co-fondateurs de JingArt pour finalement tomber d’accord sur Pékin.
DoorZine : D’où vient le nom de JingArt ?
Bien que j’aie beaucoup d’expérience en communication, j’avais besoin d’opinions extérieures, et nous avons consulté différentes personnes dans notre entourage au sujet du « branding » et de la communication pour ce nouveau projet. Nous pouvions bien sûr garder la marque déjà bien établie « Art021 ». Mais nous étions également libres d’imaginer autre chose ! Finalement, alors qu’Art021 est une foire d’art contemporain, nous avons décidé que notre nouvelle aventure pékinoise serait plus ouverte, avec de l’art contemporain, bien sûr, mais également des galeries classiques, du design, des bijoux, et même des antiquités et de la céramique. Cette direction très différente exigeait un nouveau nom, et une nouvelle marque.
Le nom « JingArt » s’inspire des plaques d’immatriculation chinoises. En Chine, pour chaque province, nous avons un caractère qui est retranscrit sur la plaque d’immatriculation du véhicule, correspondant à la province d’origine de son propriétaire. Pour Pékin, c’est « Jing » ; Shanghai, c’est « Hu » ; pour Chongqing, « Yu » ; pour Canton, « Yue » ; etc.
Le nom « Art021 » s’inspirait quant à lui de l’indicatif téléphonique de Shanghai (021). Avec ce nouveau « branding », nous pouvons aller d’une ville à l’autre en utilisant le système des plaques d’immatriculation chinoises, chaque édition de la foire portant le nom « X-Art ».
DoorZine : Quel bilan tirez-vous de cette première édition de JingArt ?
Nous sommes très satisfaits. Comme c’était notre première foire à Pékin, l’enjeu pour nous était d’abord de comprendre comment les choses fonctionnent dans cette ville. Pékin a un environnement culturel unique, ici la censure, les douanes, la façon de faire en général fonctionnent différemment.
Le lieu que nous avons choisi étant situé à proximité de la place Tiananmen, nous avons rencontré des contraintes logistiques très spécifiques pour le montage. C’est pourquoi nous avons souhaité commencer petit, afin de nous familiariser avec l’organisation d’évènements artistiques à Pékin. Cette expérience est très constructive et sert de base pour développer le potentiel de JingArt l’année prochaine.
DoorZine : Quelles sont les réactions des galeries et des collectionneurs ayant participé à la première édition de la foire ?
Les galeries et les collectionneurs étaient ravis. Nous avons été très heureux des réactions de nombre d’entre eux vivant à Pékin, qui découvraient pour la première fois ce beau bâtiment !
Beaucoup n’étaient pas allés se promener dans le quartier de Qianmen depuis 20 ans, et ne savaient même pas qu’un tel lieu existait à Pékin ! Nous savions que le public allait d’emblée nous comparer à des foires bien établies à Pékin comme Art Beijing ou CIGE (China International Gallery Exhibition) [créées en 2006 et 2004], donc nous voulions les surprendre, et nous avons réussi !
Les collectionneurs ont trouvé notre foire bien organisée, et la circulation dans l’espace agréable. Le bâtiment est divisé en trois grandes parties, ouvertes les unes sur les autres, on peut s’installer sur un balcon et voir les espaces des autres étages en face et sur les côtés.
Comme il s’agissait de notre coup d’essai, nous ne voulions pas voir trop grand. Nous savons cependant que beaucoup de galeries ont fait de bonnes ventes. La plupart des 32 galeries participantes ont une bonne base de clientèle. Certaines ont envoyé leur catalogue à leurs clients avant la foire, donc plusieurs clients avaient déjà une idée de leurs acquisitions avant de venir voir les œuvres en vrai et de fixer leur choix final.
DoorZine : Il semble que plusieurs galeries étrangères (Blain Southern, Perrotin, David Zwirner, Hauser & Wirth) participaient pour la première fois à une foire d’art à Pékin. Combien de galeries étrangères ont participé à JingArt, et qu’est-ce qui les a attirées ?
Environ 30% des galeries participantes étaient étrangères. Toutes avaient déjà participé à Art021 à Shanghai. Elles se sont inscrites dès que nous leur avons présenté le projet et les avons informées de nos points forts. Comme c’était notre première foire à Pékin, nous voulions vraiment qu’elles fassent partie de cette aventure avec nous. Le marché à Pékin est énorme, et la base de clientèle plus large. Chaque galerie a invité ses clients, mais pour les autres galeries, il s’agissait de nouveaux clients qui se baladaient dans la foire. Nous avons également amené d’autres clients potentiels grâce à d’autres ressources, pour rendre l’ensemble plus varié et plus frais. Il y avait beaucoup d’attentes à ce sujet.
DoorZine : Après cette première expérience, quels sont vos projets pour l’année prochaine et pour l’avenir ?
Pour cette première édition, nous avons envoyé des invitations aux propriétaires de galeries qui ont déjà participé à Art021 ou que nous connaissions bien. La plupart d’entre eux sont venus par curiosité. L’an prochain, nous lancerons un système d’inscription plus ouvert. Les galeries d’art contemporain nous connaissent bien, mais nous n’étions pas proches des autres galeries – les galeries de joaillerie, de céramique, ni même la galerie All. Ces galeries ont réalisé des ventes, mais, de façon plus significative, elles ont découvert une nouvelle approche et un nouveau marché. Par exemple, auparavant, la galerie All participait surtout à des foires spécialisées comme Miami Design Fair. Notre équipe a approché le propriétaire de la galerie de céramique, qui nous a donné de très bons conseils. Il a suggéré que nous choisissions quelques galeries d’art traditionnel à côté des galeries d’art contemporain ou de design, pour créer un mélange intéressant. C’est quelque chose que nous voulons développer dans le futur. Pour la joaillerie, nous choisirons deux ou trois galeries, et nous souhaitons avoir plus de galeries d’arts décoratifs.
Pékin Fine Arts à JingArt 2018
David Zwirner à JingArt 2018
JingArt 2018
Pékin Fine Arts à JingArt 2018
David Zwirner à JingArt 2018
JingArt 2018
DoorZine : Depuis vos débuts dans l’art contemporain en Chine, de quels changements majeurs avez-vous été le témoin ?
Beaucoup de galeries ont radicalement changé, et sont arrivées seulement très récemment à une situation plus stable. Dans le passé, beaucoup de galeries ouvraient et fermaient. Aujourd’hui, on voit émerger des galeries matures, qui restent sur le marché, lui-même plus stable.
Deuxièmement, les collectionneurs chinois ont mûri eux aussi. Auparavant, ils collectionnaient uniquement de l’art contemporain chinois, alors qu’aujourd’hui ils sont beaucoup plus attentifs au marché de l’art international. Grâce au cercle de mécènes d’UCCA, de nombreux collectionneurs chinois sont également devenus mécènes du MoMA ou du Guggenheim. Par ailleurs, avec l’émergence de tous ces nouveaux musées privés, les collectionneurs chinois ont une vision du futur plus riche. En Chine, actuellement, certains collectionneurs souhaitent ouvrir leurs propres musées, d’autres prévoient de créer leurs propres fondations, d’autres encore veulent diriger des programmes spéciaux ou trouver des partenaires pour exposer leurs propres collections. Collectionner de l’art n’est pas simplement une affaire d’investissement ou de passion personnelle : les collectionneurs chinois souhaitent de plus en plus partager leurs collections avec le public.
DoorZine : Traditionnellement, on considère Pékin comme la capitale artistique de la Chine. Mais il semblerait depuis quelque temps que Shanghai rivalise avec Pékin. Il y a également des évènements et institutions artistiques majeurs qui naissent à Chengdu, Shenzhen ou Hangzhou. Quel est votre point de vue sur cette rapide évolution de la géographie du monde de l’art chinois ?
Le marché de l’art reflète la situation économique de la Chine. L’art se développe dans ces villes car l’économie et l’environnement s’y améliorent. Ces villes ont besoin de musées, d’institutions et d’artistes. Auparavant, la plupart des artistes étaient diplômés des grandes écoles des beaux-arts de Pékin et Hangzhou, donc ils établissaient leurs ateliers à Pékin ou près de Shanghai. Aujourd’hui, avec Internet, le lieu où l’on vit n’a plus tellement d’importance. Beaucoup d’artistes retournent s’installer dans leurs villes natales et s’y concentrent sur leur art. Par ailleurs, Pékin est une ville plus chère et l’environnement y est de plus en plus hostile pour les artistes, donc les gens sont moins enclins à s’y établir de façon permanente.
DoorZine : Selon vous, pourquoi y a-t-il en Chine cet intérêt pour le partage, en comparaison avec les collectionneurs d’art à l’étranger ?
Si on analyse les foires d’art d’un point de vue international, en réalité beaucoup d’entre elles ont lieu dans la ville ou le village d’origine de collectionneurs, voire même chez eux. En Chine, la notion de chez-soi est beaucoup plus privée. On préfère montrer ses collections à l’extérieur. En même temps, les collectionneurs chinois ont l’esprit de compétition. En Chine, comme vous le savez, « garder la face » est très importante. Si quelques collectionneurs se mettent à exposer leurs collections, les autres vont suivre !
DoorZine : Quels évènements à venir dans le monde de l’art chinois vous enthousiasment le plus ?
Je suis très content que le Musée National des Beaux-Arts de Chine (NAMOC) construise une nouvelle antenne dessinée par Jean Nouvel. C’est génial de voir que le NAMOC se concentre maintenant sur l’art contemporain.
A Hong Kong, le musée M+ va normalement ouvrir dans deux ans. J’ai beaucoup aimé leur dernier projet, Tai Kwun, sur Hollywood Road. Ils ont transformé l’ancien siège de la police en un espace d’art contemporain et un théâtre. [Ce sont les architectes suisses Herzog & de Meuron, en charge du musée M+, qui ont également conçu ce projet.]
Par ailleurs, il y a de plus en plus d’expositions internationales qui viennent en Chine, et de nouvelles foires qui ouvrent. Cette année, il y aura même une autre nouvelle foire à Pékin, dans un hôtel !
Liste des galeries ayant participé à la 1ère édition de JingArt :
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Chorégraphes, réalisateurs et directeurs artistiques, le duo I COULD NEVER BE A DANCER collabore avec des marques de mode, des institutions culturelles, et des artistes pour qui ils créent des vidéos et chorégraphies pop et ludiques.
Doors a rencontré Nicole Ching et Leigh Tanner, les jeunes fondatrices de Museum 2050, une nouvelle plateforme basée à Shanghai dédiée à la réflexion sur l’avenir des institutions culturelles en Chine et dans le monde d’un point de vue local.
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